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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

retranchement, et Champlain, avec une trentaine d’hommes, y entrèrent l’épée à la main, sans trouver beaucoup de résistance. Ce fut un massacre ; à l’exception d’une quinzaine de prisonniers, tous les Iroquois moururent sur place ou se noyèrent en fuyant. Le chirurgien Boyer, de Rouen, pansa les blessures des Français. Les Sauvages alliés comptaient cinquante blessés et trois morts. Le lieu où s’était passée cette tragique affaire prit le nom de cap au Massacre, à une lieue plus haut que Sorel, du côté de Contrecœur.

Le 20, Pontgravé[1] arriva avec une chaloupe chargée de marchandises, et suivie par une autre sous les ordres de Pierre Chavin. La traite eut lieu le lendemain. Ici commence une série de difficultés et de tiraillements dont nous aurons à parler plus d’une fois. De Monts avait conservé le poste de Québec, et, peut-être aussi, la traite de Tadoussac. Le reste du pays était ouvert aux Basques et aux Mistigoches, nom par lequel les Sauvages désignaient les Normands et les Malouins. À Tadoussac, au mois de mai, les Montagnais avaient dit à ceux-ci : « Nous allons en guerre contre les Iroquois ; nous aiderez-vous ? » Ils avaient répondu affirmativement ; mais, dans l’opinion des Sauvages eux-mêmes, « ils ne veulent faire la guerre qu’à nos castors. » Leurs barques s’étaient tenues dans le voisinage de Champlain, et voilà comment le jeune Desprairies, qui « était plein de courage, » voyant ses compatriotes en péril, quoiqu’ils ne fûssent pas ses associés, avait volé à leur secours. Le combat était à peine terminé, que d’autres Mistigoches s’étaient avancés jusque dans la barricade et avaient dépouillé les morts, c’est-à-dire enlevé les pelleteries qu’ils possédaient. La traite du 20 se fit à l’avantage de ces nouveaux venus. « C’était, dit Champlain, leur avoir fait un grand plaisir de leur être allé chercher des nations étrangères (Algonquins et Hurons) pour après emporter le profit, sans aucun risque ni hasard. »

Le 21, arrivèrent quatre-vingts Sauvages, Hurons et Algonquins. L’assemblée fut tenue sur l’île Saint-Ignace. À peu près deux cents des Sauvages présents n’avaient jamais vu d’Européens.

Un jeune garçon, qui avait hiverné deux fois à Québec, demanda la permission de suivre les Sauvages pour apprendre leur langue. Pontgravé et Champlain y consentirent, espérant qu’il verrait le pays, les lacs, les rivières, les mines, les peuples « et choses les plus rares de ces lieux. » Après quelques pourparlers, les Hurons offrirent de confier à Champlain un jeune homme de leur nation, nommé Savignon, pourvu qu’on le menât en France « afin qu’il nous rapporte ce qu’il aura vu de beau, » dirent-ils. Le marché fut conclu. Savignon rencontra à Paris (hiver 1610-1611) le poète Marc Lescarbot, lequel nous apprend que ce Sauvage était un « gros garçon et robuste, » qui se moquait des Français lorsqu’ils se querellaient sans se battre, et riait en voyant comment chacun se mouchait… avec un mouchoir.

On croit que le jeune Français en question se nommait Étienne Brulé. Celui-ci était natif de Champigny. Il fut, pendant plusieurs années, interprète des Hurons. En 1623, il

  1. On voit par le rapport de Champlain, en 1609, que la rivière Nicolet portait le nom de Pontgravé. Sur la carte de 1612, elle est marquée « R. du pon. » Il y a apparence que ce nom s’est conservé jusqu’à la prise du pays par les Kertk, en 1629. Vers 1640, on commença à l’appeler du nom de Jean Nicolet, l’interprète.