route, et le 19 au matin, étant à préparer leur campement sur une île du lac Saint-Pierre (île Saint-Ignace), on vint les avertir que les Algonquins avaient aperçu cent Iroquois, fort bien établis dans un retranchement à leur mode. Le récit de Champlain est un tableau piquant de la conduite des Montagnais et des Algonquins dans ces rencontres. D’abord, chacun se précipita sur ses armes et courut aux canots. Il s’en suivit un pêle-mêle, un va-et-vient où tout le monde commandait et personne n’obéissait. Sitôt montés, les hommes des premiers canots se mirent à jouer de l’aviron, criant et nageant, tandis que leurs camarades restés au rivage se désespéraient d’être laissés en arrière. Ceux qui avaient ainsi follement pris de l’avance, revinrent en toute hâte les prier de se dépêcher. Nouveau tumulte. Enfin, le gros de la bande partit avec une ardeur, un désordre, une confusion qui donnait à réfléchir à Champlain. Celui-ci voulait se servir de l’une des barques, de préférence aux canots d’écorce ; il n’y eut pas moyen de s’entendre. Les Sauvages restant enlevèrent, pour ainsi dire, Champlain, le capitaine Thibaut (de la Rochelle) et quatre Français. Les barques et le campement restèrent sous la garde du pilote Laroute (il avait été de l’expédition de 1609 au lac Champlain). À peine abordés vis-à-vis l’endroit où l’ennemi venait d’être signalé, tous les Sauvages s’élancèrent à travers la forêt, laissant les six Français à la merci des événements. Champlain et ses compagnons marchèrent sur les traces de leurs étranges alliés, durant une demi-lieue, ayant de l’eau ou de la vase jusqu’aux genoux, et tourmentés par les moustiques. Lorsqu’ils aperçurent les deux ou trois premiers Sauvages envoyés à leur recherche, c’étaient des messagers qui leur annonçaient que l’assaut avait été livré sans autre résultat que de faire tuer et blesser bon nombre de Montagnais et Algonquins, ce qui était facile à deviner rien qu’à entendre les hurlements et les cris de douleur dont ces maladroits remplissaient les bois. Néanmoins, le combat se continuait ; car les plus vaillants se tenaient près des barricades des Iroquois, lançaient des flèches, et, de part et d’autre, on se disait des injures, à la façon des héros d’Homère. Le fort des Iroquois était construit en rond, selon leur coutume, et formé de gros arbres, reliés entre eux très-solidement. La rivière coulait sur un côté. Champlain et ses gens s’avançaient par les terres. Il y eut un commencement de fusillade sans grand effet, parce que les Iroquois se tenaient à couvert. Les flèches volaient comme grêle. L’une d’elles fendit le bout de l’oreille de Champlain et lui entra dans le cou ; une autre blessa un Français au bras. Les armes à feu épouvantaient naturellement les Iroquois, aussi pouvait-on tirer sur eux tout à l’aise ; car, sous l’empire de la terreur, ils s’éloignaient du rempart qu’attaquaient les arquebusiers, et Champlain dit qu’il y appuyait sa pièce pour mieux viser. Voyant, toutefois, que la chose traînait en langueur, il ordonna à tous les Sauvages de se couvrir de leurs boucliers, d’aller attacher des cordes à la barricade et de tirer dessus jusqu’à ce qu’elle tombât ; en même temps, sur la gauche, il faisait abattre un arbre, lequel, en s’affaissant, devait écraser l’ennemi. Comme on en était là de cette lutte beaucoup plus difficile que celle de l’année précédente, accourut, par la rivière, un jeune homme de Saint-Malo, nommé Desprairies, avec trois Français, qui étaient partis du campement au bruit des détonations des arquebuses. Peu après, une brèche s’ouvrit dans le
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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS