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réflexions sur l’art des vers

césure n’est pas supprimée, mais elle ne relève plus de la syntaxe, elle n’est donnée que par la phonétique pure, par l’accent, indépendamment des attaches du mot à la phrase. L’expression passionnelle y gagne, parce que des mots particulièrement précieux pour le sens en débordant l’hémistiche sont mis en relief. Par exemple, dans ce vers du Cimetière d’Eylau :


Comme par une main noire, dans de la nuit,
Nous nous sentîmes prendre…


le qualificatif noire prend une valeur extraordinaire par cela seul qu’il excède la césure. Une pareille ressource manquait au langage du vers classique ; elle est une découverte de premier ordre. Mais il faut savoir en user, comme de tout rejet ; car c’en est un qui, au lieu de commencer au temps fort de la rime, commence au temps fort de la césure. Or le rejet n’est nullement destiné à faciliter la besogne du poète, il doit toujours procéder d’une intention d’art ; ce qui