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réflexions sur l’art des vers

tous les mouvements de l’âme, de son âme en particulier, ne s’adaptent pas à la formule phonétique rigide que leur impose chaque espèce du vers, au rythme régulier, dont l’allure, par une fortuite concordance, s’est trouvée reproduire à merveille la démarche pondérée des beaux génies enrôlés à la cour de Louis XIV. La passion naïve a des sursauts qui démontent l’appareil de la versification classique ; elle a des essors brisés qui s’y dérobent ; elle a des élans brusques et brefs, suivis de subits affaissements, des palpitations saccadées, mille secousses qui désarticulent les anneaux de cette chaîne harmonique. Victor Hugo les compte encore pour l’oreille, mais leur rend l’indépendance, sans, toutefois, les rendre à la prose, ce qui tout d’abord semble incompatible. Il suffit, pour résoudre cette apparente contradiction, de bien définir et préciser l’indépendance qu’il leur rend. N’oublions pas que le rythme régulier du vers implique inévitablement dans ses périodes, dans les hémistiches, des fragments de rythme irrégulier, et que la césure seule, en y répartissant