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réflexions sur l’art des vers

irrégulier d’un membre de phrase engagé dans une composition régulièrement rythmée : l’unité même de cette composition l’y entraîne, de sorte qu’un fragment de prose de sept syllabes, par exemple, devient par influence et par destination plus musical dès qu’il doit figurer dans un poème à titre de vers ; son nouveau baptême le transfigure, mais sans y rien changer d’essentiel ; la diction seule varie.

Le besoin de répéter le rythme régulier ou irrégulier d’un membre de phrase dans le suivant devait prescrire des bornes au nombre des syllabes rythmées composant ce fragment du discours. C’est en effet par la mémoire que l’oreille jouit du rappel de ses perceptions ; aussi, plus le souvenir en sera facilité, plus la jouissance de leur retour sera vive et assurée. Il importait donc que la longueur de l’étalon rythmique à retenir n’excédât pas les limites fixées à la portée d’un souvenir auditif tenu de demeurer aussi net que possible. Ajoutons qu’il suffit de deux hémistiches à l’oreille pour qu’elle jouisse d’un rythme ; aussi n’en réclame-t-elle pas davantage : c’est ce