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réflexions sur l’art des vers

gagne de la variété dans son unité, ce qui l’embellit.

L’oreille aime à la fois le nouveau, qui varie son plaisir, et le rappel de ce qui lui a plu ; elle en accueille le souvenir comme le retour d’un ami. Ces deux principes de jouissance opposés se concilient dans la perception musicale pour la rendre aussi agréable que possible, grâce à un troisième principe de jouissance auditive, à savoir le rythme, qui tempère le continuel changement des sons par une constante balance de leurs durées collectives dans la mémoire, et ajoute ainsi la confiance à la surprise. Cette synthèse compensatrice invite l’ouïe à une attente dont elle lui assure d’avance et lui procure la satisfaction ; elle la charme donc sans avoir à lui demander pour être perçue aucun effort sensible, propriété esthétique par excellence et capitale dans la théorie musicale du vers.

Pour l’ouïe, en effet, la condition, non pas suffisante, mais nécessaire du plaisir relève de la loi générale du moindre effort, régissant toutes