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réflexions sur l’art des vers

soit à la phonétique de la prose. Cette phonétique, en effet, est régie à la fois par le sens de la phrase et par l’émotion de l’écrivain qu’interprète le lecteur. La phrase de prose se divise selon l’ordre des idées et règle son allure sur la vivacité des sentiments ; le style en est donc adéquat à l’état psychique de l’écrivain, état sympathiquement reproduit chez le lecteur, qui le communique à son auditoire. Que demander de plus au langage ? Que peut-il gagner à modifier son régime normal ? On est d’autant plus tenté de se poser cette question que, chose remarquable, les plus récentes écoles de poésie retournent inconsciemment à la prose (du moins pour l’oreille du public) par leur curieuse recherche du mode d’expression littéraire le plus efficace. La sélection qu’ont opérée entre toutes les formes possibles du vers français les innombrables essais des poètes antérieurs, ces écoles l’abolissent comme erronée, restrictive à tort des ressources de la versification. Or il arrive que, en multipliant les espèces de vers, par cela même elles cessent de versifier. Elles ne s’en aperçoivent pas, et cela