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réflexions sur l’art des vers

le sont par la façon différente dont la phonétique, dans l’une et dans l’autre, est employée pour l’expression. Or la versification peut se définir : l’art de faire bénéficier le plus possible le langage des qualités agréables et éminemment expressives du son. La prose les utilise déjà, mais à un moindre degré, dans toutes les diverses catégories de la pensée, par une progression musicale du langage que peuvent mettre en évidence des exemples typiques. Une phrase bien faite, quel que soit le sujet traité, satisfait l’oreille et intéresse l’imagination et la sensibilité davantage à mesure que l’harmonie en devient plus imitative. Descartes dans ses Méditations, Pascal dans son Traité de l’équilibre des liqueurs, Laplace dans ses préliminaires sur le calcul des probabilités, usent d’une langue dont la sonorité seule ne révèle pas de quoi ils parlent, mais se borne à exprimer par une cadence ferme et grave la vigueur de leur esprit. Par cela seul que la phrase, admirablement construite, est limpide, elle flatte l’oreille comme un flot clair dont le murmure ne fait d’ailleurs rien connaître