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réflexions sur l’art des vers

dont le son même exprime le sens, ce serait se condamner à un labeur incompatible avec la nature conventionnelle du vocabulaire. Une part seulement de la phonétique du langage est donc afférente au style, est susceptible d’exprimer l’âme de l’écrivain et ce qu’il sent des choses qu’il nomme. Cette part, c’est l’harmonie imitative propre à la démarche, à l’allure de la phrase, à l’association de certains mots, aux onomatopées. L’autre part de la phonétique, à savoir la sonorité de tout le reste des mots, sonorité entièrement étrangère à leur sens, n’ajoute rien et peut même nuire à l’intégrité de l’expression due au style. C’est ainsi que les mots abstraits, par exemple, sont bannis du langage passionné, où le style cherche à utiliser le plus possible la qualité expressive des mots.

Les remarques précédentes s’appliquent sans distinction à la prose et aux vers. Le style étant commun à ces deux formes littéraires, sa vertu propre d’exprimer par les qualités et les rapports des sons leur est commune également. Si donc ces deux formes sont réellement distinctes, elles