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réflexions sur l’art des vers

son style est contrefait et manque de naturel ? Des présomptions seules sont permises. Il en est auxquelles on peut se fier sans jugement téméraire : l’absence de sincérité se dénonce par des excès dénués de passion, des bizarreries à froid. La physionomie du langage, dès qu’elle est faussée, agit sur le lecteur de la même façon que celle du corps sur le spectateur par l’affectation des manières, par des gestes composée, par une démarche prétentieuse ou volontairement déhanchée. Quand un acrobate chemine sur une corde raide, quand un gamin fait la roue, on ne prend pas ces exercices pour leur allure spontanée ; et quand ils marchent naturellement on s’aperçoit qu’ils n’ont ni grâce ni distinction. De même certaines poésies étranges accusent chez leurs auteurs l’unique dessein d’étonner, et il y a gros à parier que les premiers vers où ils ont tenté la sincère expression de ce qu’ils sentaient décèlent par leur médiocrité une égale médiocrité d’inspiration. N’est-il pas présumable encore ou, du moins, à craindre que de jeunes poètes, d’ailleurs bien doués à tous égards, impatients de