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réflexions sur l’art des vers

La sincérité, la conscience dans l’exécution consiste pour le poète, comme pour les autres artistes, à n’y pas transiger avec ce qu’il sent. Est-ce à dire qu’il soit condamné à repousser comme non avenue toute idée, toute image suggérée par la rime, dont parfois l’exigence, sans l’induire à violenter sa pensée, en dispose passagèrement ? Point du tout ; ce sont là des rencontres heureuses, non des trahisons. Ce qu’il doit s’interdire, ce sont les compromis inavouables, les chevilles de mots, par exemple, et, licence moins naïve, les chevilles de vers entiers dont l’intrusion parasite prostitue la pensée à la rime. La mauvaise foi s’insinue par là dans l’exécution avec plus ou moins d’adresse et, chez certains virtuoses, avec un art qui arrive à la racheter.

Mais il y a des cas où elle abuse, sans rachat, du privilège d’impunité que lui assure l’inviolable asile du for intérieur où elle se retranche. Comment convaincre de mauvaise foi un artiste ? Comment lui prouver qu’il n’exprime pas ce qu’il sent, qu’il ne sent pas ce qu’il exprime, que