Page:Sully Prudhomme - Poésies 1866-1872, 1872.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Raillant son front souillé rencontrèrent ses yeux,
Et le regard suffit au châtiment du rire.
« Tu seras, dit le roi, célébré par la lyre. »
Le sublime ouvrier lui demanda son prix,
Trois cents bœufs. Augias, d’un air simple et surpris :
« Je n’en dois pas trois cents. — Par les Dieux je l’atteste.
— De mes trois mille bœufs, c’est plus qu’il ne me reste.
— L’injustice m’émeut plus que la perte, ô roi !
— Ce que tu viens de faire était un jeu pour toi.
— Un jeu ! dispute-moi mon lucre et non ma gloire !
— Qu’avais-je donc promis ? — J’aiderai ta mémoire :
Un dixième des bœufs. — Mais lesquels ? — Ceux d’alors.
— Ceux d’aujourd’hui. — Tu mens ! — Paye-toi sur les morts. »
Le fils de Jupiter n’y put tenir : « Ah ! fourbe,
Je laverai du moins dans ton sang cette bourbe ;
Et vous tous qui trouvez mes labeurs si plaisants !
O lutteur, j’étouffais des lions à seize ans ;
Dompteur fier de courber les fronts de quatre bêtes,
Moi j’ai maîtrisé l’hydre aux innombrables têtes ;
Coureur, j’ai mieux que toi précipité mes pas,
La biche aux pieds d’airain ne me fatiguait pas ;
Chasseur, sans le secours de la flèche volante,
J’ai pris au poil du cou le monstre d’Érymanthe ;
Et, n’eussé-je purgé ni les monts ni les bois,