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— « Toutes les lèvres sont fermées,
Dit la Mer, tous les yeux sont clos ;
Aux douleurs par l’oubli charmées,
Grand Ciel, tu verses ton repos.

« Mais moi, je veille et me lamente.
Moi seule tu ne m’endors pas ;
Un fouet invisible tourmente
Mes flots éternellement las ;

« Et quand, secouant leur martyre,
Ils se soulèvent courroucés,
Ils sentent leur poids qui les tire,
Dans leur lit jaloux repoussés.

« Étoiles, que je vous envie !
Le Zodiaque tourne en paix
Sur la courbe déjà suivie
Dont il ne s’écarte jamais ;

« Mes eaux s’entrechoquent sans trêve
Dans leur combat toujours nouveau ;
Leur foule en vain de grève en grève
Court après son fuyant niveau,

« Jouet d’une chaîne ennemie
Et d’un implacable aiguillon,
Elle a, pour un jour d’accalmie,
Des siècles d’agitation.