Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Car, soudés bout à bout, ses anneaux innombrables
Dans tous les nœuds qu’ils font restent inséparables.
Et tous au choc d’un seul vibrent en même temps ;
Mais nul ne voit d’abord, du seuil de la tanière,
La première vertèbre ébranler la dernière,
Dans ce monstre enroulé, la queue entre les dents !

Platon crut cependant rencontrer ses prunelles.
Et contempler au fond les formes éternelles.
Dont le moule s’impose aux accidents divers ;
Hier même, semblable ati damné que vit Dante
S’assimiler le corps du serpent qui le hante,
Hégel sentait en lui s’engendrer l’Univers.

Mais si haut qu’atteignit l’effort de son génie,
Ce téméraire élan fut l’extrême agonie
De la Chimère antique, échouée à jamais,
Fossile gigantesque et pareil à l’épave
D’un dragon naufragé, mais dont l’essor se grave
En des rocs enfouis qui furent des sommets !

Aveuglés par la brume ou la splendeur des cimes.
Ils ont pu s’égarer, ces chercheurs magnanimes !
Pour tout voir au grand jour ils ont du moins tenté
Du suprême plateau la route âpre et sans roses.
Leurs aspirations vers la cause des causes
Ont de l’homme avec Dieu prouvé la parenté.