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Tant de rêveurs sont nés dont ne reste plus trace !
Quand donc aura trouvé sa figure et son lieu
Le prince et le dernier de la plus haute race.
Le vivant idéal qu’on doive nommer Dieu !

III


De la pierre à la fleur, de la fleur à la bête,
Jusqu’à l’homme, en chaque être ici-bas quelque instinct
L’incite à regarder au-dessus de sa tête
Vers l’être plus vivant que jamais il n’atteint.

Quelque lambeau du ciel en tous les yeux miroite ;
Chaque être en voit sa part, mais sent le reste ailleurs,
Et ceux qui n’ont d’en bas qu’une éclaircie étroite
Admirent l’ample azur des yeux supérieurs :

Le caillou, plus aveugle encore que la plante,
Voudrait autour du lis ramper, s’il remuait,
Chercher son ombre au bord de la route brûlante
Et l’appeler son Dieu, s’il n’était pas muet ;

Et peut-être, à son tour, la fleur adore, émue,
Les yeux du papillon, sans se dire : « Je sens. »
Peut-être, quand il passe, elle aspire et salue
Et de tout son parfum lui fait presque un encens ;