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Ainsi tout l’univers, temple aux arches énormes,
Par degrés s’illumine en son antique nuit.
Et ses porte-flambeaux sont les vivantes formes
Où la Pensée attend, couve, palpite et luit.

Aube intime du monde, âme de toute chose,
Sans cesse la Pensée en quête d’horizon
Monte de forme en forme, avec la vie éclose,
Tour à tour songe obscur, pâle image, et raison !

Sa lueur, que propage à travers l’ombre épaisse
L’aile en feu de l’amour, d’âge en âge grandit,
Et de la plus intime à la plus noble espèce
Aux fronts toujours plus droits rayonne et resplendit.

Poursuivant un miroir où sa loi se révèle
Toujours plus lumineuse à chaque être nouveau,
Dans l’argile plus fine où plus de jour se mêle
Le monde entier travaille au suprême cerveau.

Mais l’œuvre à l’infini lentement se prolonge ;
La poussière des jours tombe du sablier,
Et l’éternelle ébauche en est encore au songe,
Ne faisant qu’entrevoir, hélas ! et qu’oublier.
 
Quand donc sur la dernière assise enfin gravie.
Après avoir monté tous les degrés du ciel,
Trônera la Pensée au faîte de la Vie,
Conscience du monde et phare universel !