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SOUVENIR D’UNE SOIRÉE

DE MUSIQUE


A Madame Marie Gaston Paris.


Non, je ne suis pas fait pour ces molles soirées.
J’en sors plein de senteurs, plein de vapeurs dorées,
Et triste à fuir le monde au plus noir des forêts.

Hier elle était là, souriante, et si près !
Et je ne savais rien, je n’osais rien lui dire.
Un orchestre où vibrait l’écho de mon martyre,
Tumulte harmonieux des archets et des doigts,
Accompagnait l’essor d’une touchante voix,
Comme autour d’une fleur qui s’ouvre et s’abandonne
Un essaim de frelons capricieux bourdonne,
La presse de baisers doucement importuns
Et mêle, frémissant, le murmure aux parfums.

Elle écoutait chanter, mains jointes, comme on prie.
Moi, jaloux des accents qui l’avaient attendrie,
Inquiet et souffrant du bonheur de la voir.
J’éprouvais mon néant. Ma jeunesse, en un soir.
Comme sous le ciel terne et mouillé de l’automne