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III

Quel serait notre ennui, s’il nous fallait sans cesse
Vivre sevrés du ciel obstinément voilé,
Sachant bien qu’au-dessus de la nuée épaisse
Rayonnent des splendeurs dans l’éther étoile !

Oh ! combien pèserait sur nos âmes malades
Ce lourd voile offusquant l’azur et l’horizon !
Combien se meurtriraient en vaines escalades
Nos vœux impatients au toit de leur prison !

Mais Dieu ne nous a point infligé ce supplice :
Si des astres l’hiver nous ravit la clarté,
Le brouillard se dissipe et le nuage glisse,
Et tout le firmament brille pour nous l’été !
 
Les étoiles sont loin, mais nous sommes sûrs d’elles ;
La nue en les couvrant n’est qu’un fuyant linceul ;
La nue est passagère, elles sont immortelles,
Elles luisent pour tous et jamais pour un seul.

Nulle n’est fiancée aux regards d’un seul homme.
Nulle ne peut garder sa lumière pour soi ;
Astre et belle aujourd’hui d’un éclat qu’on renomme,
Vénus se montre encore au berger comme au roi.