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Et tout gage d’amour à des vivants donné
Des mains du donateur sort-il empoisonné ?
Non ! non ! Baisse les yeux, regarde ces colombes
Qui volent sous nos pieds sans rien savoir des tombes
Ni de tous les soupirs dans la terre endormis :
Crois-tu que le baiser ne leur soit pas permis
Sans le mélange amer d’une saveur d’absinthe ?
Pourquoi, fruit d’un hymen dont la chaîne est plus sainte.
Des couples de mortels pour sentir mieux doués
Seraient-ils donc les seuls au lent dégoût voués ?

la mort

Multitude des morts, race humaine envolée
De ton rude berceau qui fut ton mausolée,
Dis, maintenant qu’éparse en des astres plus beaux
Tu connais l’échappée immense des tombeaux,
Recommencerais-tu la terrestre aventure
Sans qu’elle eut pour attrait une palme future ?
y voudrais-tu revivre exempte des tourments
Qui plus haut t’ont valu de tels ravissements,
Et honteuse en secret d’une joie avilie
Qui ne serait point due à la tâche accomplie ?
— « Non ! j’y voudrais souffrir de nouveau, crirais-tu,
« Car je sais quel trésor amasse la vertu.
« J’y patienterais : qu’est-ce que la durée
« Par l’espoir de lauriers éternels mesurée ?
« J’attendrais un bonheur mérité, non surpris,
« Qui fût de mes efforts, non des vôtres, le prix,