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La foule des souffrants attache avec ferveur
Son espérance ardente et tant de fois déçue
D’apprendre si la tombe a vraiment une issue
Ouvrant à la douleur un céleste avenir,
Ou de la voir sur terre et sans délai finir.

la mort

C’est la première fois qu’au lieu de leur naissance,
Après que des Édens ils ont pris connaissance,
Je rends ceux dont mon souffle avait guéri les maux.
J’ai renversé pour vous mes trajets sidéraux,
Et j’hésite, à ma route ordinaire infidèle,
Devant la cruauté de mon dernier coup d’aile.
Il m’avait agréé de vous ravir d’ici
Vers un astre où le sort vous serait adouci,
Où vous auriez le prix de vos peines passées
Par un loisir sans trouble à jamais effacées ;
Mais la compassion pour le malheur lointain,
Comme un flot lent à sourdre et qui jaillit soudain,
Vous a fait tout à coup, saintement téméraires,
Replonger dans la nuit pour rejoindre vos frères.
Je ne suis que l’esclave aveugle des héros :
Leurs propres dévoûments sont leurs premiers bourreaux,
Et l’entier sacrifice a pour loi mon silence ;
Qui me suit pour l’honneur dans l’inconnu s’élance ;
Et par ma bouche avare (et savante pourtant !)
Rien ne doit transpirer du destin qui l’attend.
Vous aurez fait, hélas ! l’expérience amère