Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La seule bouche où l’âme eut façonné l’haleine
Et su dans le baiser par le serment s’unir.

______Oui, l’homme eut des lèvres divines
______Par la parole et le baiser ;
______Mais combien de dards et d’épines
______La haine y savait aiguiser !
______Combien y firent de blessures
______Les mots à l’âme en frappant l’air,
______Plus pénétrantes et plus sûres
______Que celles des dents à la chair !

______Combien de lâches perfidies
______Y mêlaient le miel au poison !
______Par combien d’insultes hardies
______Le dogme y blessait la raison !
______Et, si les fables des poèmes
______Y berçaient le front déridé,
______Que de mensonges, de blasphèmes
______Y souffletaient la Vérité !

______Si l’avide interrogatoire
______Dont l’homme obsédait l’Univers
______En perça le masque illusoire,
______Si l’homme osa lire au travers,
______Que son audace fut punie !
______Il dut reculer, l’œil hagard,
______Devant la trouée infinie,
______Plus profonde que son regard.