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Dans les ports écroulés les luisants goëmons
Ont, par-dessus les quais, rampé de proche en proche ;
Et, les flancs incrustés dans le sable et la roche,
Dorment de gros vaisseaux fixes comme des monts.

Tels des géants couchés dont saillirait l’épaule,
De monstrueux engins, témoins des derniers arts,
Dressent leurs angles nus où rôdent les lézards,
Rien n’ayant pu germer sur le cuivre et la tôle ;
Et le livre, où déjà les avaient préparés,
Même avant Archimède, Euclide et Pythagore,
A, loin du jour qui luit sur le métal encore,
Rejoint les inventeurs, tous dans la nuit rentrés.

Les jardins où Platon butinait ses paroles
Et le fameux portique où méditait Zenon
Ne sont plus : tout le marbre enfoui dort sans nom,
Et l’abeille est partout suspendue aux corolles ;
Les bois en s’inclinant ne font plus de saluts,
La lyre sans Orphée est sur eux impuissante ;
Elle attend vainement l’âme d’Homère absente,
Qui s’en est envolée et n’y passera plus !

L’air est veuf des frissons sacrés de l’éloquence :
Effleurés vainement de souffles sans vertus.
Les rostres par la ronce étouffés se sont tus ;
Les lèvres qui prêtaient aux sons leur élégance
Les en ont dépouillés par leur dernier soupir ;
La terre a vu s’éteindre avec la bouche humaine