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Dans la faune et la flore une fixe harmonie
Fait durer chaque espèce autant que son milieu ;
L’homme seul, conquérant devenu demi-dieu,
Finit avant le monde où régna son génie,
Et ses sujets ont tous à leur roi survécu.
La vie a déserté, d’âge en âge plus brève,
Son corps plus affaibli par le luxe et le rêve ;
Par sa victoire même il a péri vaincu.

Ses derniers descendants n’ayant plus la main rude,
Le sceptre y défaillit, tandis que, pas à pas,
La Nature poussait sur le maître enfin las
L’assaut des révoltés luttant sans lassitude,
Jusqu’à l’heure où partout a bondi, libre et seul,
Le peuple, hier captif, des parcs et des étables.
Où l’âpre invasion des plantes innombrables
A couvert les cités d’un souriant linceul.

L’ancien cirque offre au lièvre un vallon de fougères
Et dans un clair bassin l’eau du ciel à l’oiseau ;
Le pont ne prête plus qu’au nid son frais arceau.
Et le lierre y suspend des guirlandes légères ;
Le fort et ses canons dorment ensevelis ;
La tour de l’astronome en tertre s’est muée ;
La plaine est par le temple à peine bossuée,
Les palais et les murs n’y forment que des plis.

Les graines vont germer où le vent les disperse :
Sur les flancs de la terre autrefois bigarrés