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faustus

Celui-là fut vraiment marqué du sceau divin.
J’avais, tout un long jour, fatigué ma pensée
A m’assurer les vents pour cette traversée ;
Enfin, comme un pilote invoquant, au départ,
Devant l’immensité, sa foi plus que son art,
Je m’en étais remis à mon Juge suprême
Pour que, s’il m’approuvait, il me guidât lui-même ;
Confiant dans l’arrêt j’attendais le secours.
Or, à l’heure où le somme étend ses rideaux lourds,
La Mort, l’auguste Mort, l’infaillible Passeuse,
Non celle qu’imagine infecte, blême, osseuse,
Notre invincible horreur pour le cadavre humain,
Mais la Force qui fraye aux âmes leur chemin
Et les entraîne au but que l’Espérance indique,
M’apparut sous les traits d’une vierge pudique.
Elle me révéla sa sainte mission.
Puis marquant dans l’espace avec précision
D’un geste sûr le point où la terre gravite :
« J’y peux voler, dit-elle, et l’atteindre aussi vite
Que j’en marque la place, et, couchés dans mes bras,
Je vous y porterai tous deux, quand tu voudras. »
Je me dressai soudain, les yeux hantés encore
Comme du spectre clair d’un fuyant météore ;
Tu dormais immobile et blanche à mon côté,
Et je crus voir pâlir dans l’ombre ta beauté,
Comme si, dans son vol t’effleurant la paupière,
La Mort t’eût préparée à t’enfuir la première.