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Jusqu’à la nuit sublime où, m’abusant, tes larmes
_________Ont de tes yeux jailli
Si chaudes que, rendue aux anciennes alarmes,
_________J’ai soudain tressailli.
Alors (mais ce fut court comme un vol de nuée
_________Qui menace et s’en va)
Du fond de ma mémoire une ombre remuée
_________Tout à coup s’éleva,
Foule vague et lointaine, à peine murmurante.
_________Qui m’effraya pourtant,
Mais que ton regard calme et ta voix rassurante
_________Chassèrent à l’instant.
Parfois un reste obscur de la crainte éphémère
_________Dont j’ai pour toi frémi,
Effleurant mon bonheur, même en tes bras l’altère ;
_________Je te l’avoue, ami !

faustus

Cette peur que pour moi tu sentis par méprise
A soulevé, dis-tu, la brume informe et grise
Du passé de là-bas longtemps enseveli…
Hélas ! et, par moments, ce souvenir morose
T’importune, lambeau d’orage en un ciel rose…
Si la terre pourtant souffrait de notre oubli ?

Si devant nous, Stella, ses passagers, nos frères,
Sur leur grossier radeau battu des vents contraires,