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LE SACRIFICE


 
Que le bonheur de l’homme est un problème étrange !
Toute bête, pourvu qu’elle s’accouple et mange
Et laisse entrer le jour dans ses yeux grands ouverts,
Est contente. Elle fait aux aliments offerts
Le même accueil joyeux qu’aux pâtures conquises
Et ne tend au bonheur que par des convoitises.
Mais l’homme ne jouit longtemps et sans remords
Que des biens chèrement payés par ses efforts,
Et ses vœux, désertant la terre qu’ils dédaignent,
Aspirent où jamais les appétits n’atteignent,
Où son ame franchit les limites de l’air.
Au ciel inhabitable à ses poumons de chair.
Il n’est vraiment heureux qu’autant qu’il se sent digne,
Et le but que si haut la vertu lui désigne
Le condamne à gravir d’un pied endolori
Les sommets nus, rivaux du sol bas et fleuri.