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Comme après la tempête au formidable heurt
Un grand bruit de forêt s’alanguit, tombe et meurt.

Tu fuis ; derrière toi s’est fermé ton sillage,
Et sans doute au hasard tu poursuis ton voyage,
Chœur gémissant, formé des désespoirs humains !
Ou, peut-être, assuré qu’aux maux dont tu te plains
Quelque réparateur est né sous ta secousse,
Sens-tu s’évanouir l’aiguillon qui te pousse.
Mais non ! Tu n’es là-haut que le frémissement
Que font les cris lointains du terrestre tourment ;
Tu ne sens rien, tu fuis le monde qui t’engendre
Et, pour le renseigner, tu n’y peux redescendre ;
Et ceux qui t’ont commis leur message plaintif
T’ont devancé d’un vol plus sûr et plus hâtif.
Pendant que tu vas seul sans connaître ta route,
Émigrant d’astre en astre ils ont déjà, sans doute,
Atteint, selon leur lutte et, par degrés, heureux,
Les justes paradis que tu cherches pour eux ?
Mais dans l’immensité ta quête vagabonde
N’aura pas été vaine et pour l’homme inféconde,
Si ton passage éveille et fait sourdre en secret
Dans une conscience un généreux regret,
Si tu peux rappeler à quelque âme endormie
Que sa félicité devient son ennemie,
Qu’elle arrête ses vœux et ses élans trop tôt,
Loin de leur but dernier qui plane encor plus haut !
Oui, pour gagner la sphère où les bons se préparent
Le nimbe glorieux dont leurs œuvres les parent,