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Là-bas, les serviteurs du droit par la vaillance,
Ceux du beau par les arts, du vrai par la science,
Pouvaient rêver du moins pour leur bras ou leur front
La juste renommée au vol tardif ou prompt !
Héros que j’enviais, ô saints ! votre martyre,
Quel qu’en soit le destin, comme autrefois m’attire !
Votre mérite à Dieu dans l’infini s’offrant
Est plus pur sans salaire et, sans espoir, plus grand !
Du ciel intérieur il vous a faits les hôtes,
Mais vos âmes, en outre et depuis bien longtemps,
D’une aile plus légère, aux sphères les plus hautes,
Ont déjà devancé vos soupirs que j’entends !
Et moi, dont nul bienfait n’a racheté les fautes,
Qui même ai fui les maux au lieu de les guérir,
J’usurpe ici la paix si rude à conquérir !… —
 
Parfois, en plein été, quand le regard se noie
Dans l’azur qui sans tache uniment se déploie,
Quand le songe, planant avec sécurité,
Semble par un saphir immuable abrité,
Et qu’assoupi, de jour, d’air et de parfums ivre,
On n’a plus d’autre soin que de se laisser vivre,
Un point grisâtre, à peine une brume, au midi,
Se révèle, se cuivre et s’avance agrandi.
Du nuage effrayant l’invasion rapide
A bientôt en entier voilé le bleu limpide.
L’air soupire et se tait, immobile, étouffant,
Tout l’horizon tressaille et sourdement murmure.
Soudain, le rideau noir avec fracas se fend,