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les voix


Je suis Tubalcaïn. Je vois s’entr’égorger
Mes fils avec le fer que j’enseigne à forger.
— Moi, je suis Triptolème, et je vois mes semailles
En fécondant les champs les vouer aux batailles !
— J’attachai, le premier, les chevaux au timon,
La roue au char : ces biens sauveront-ils mon nom ?
— Moi, je suis Prométhée : un vautour me dévore.
— Je suis Harmodius : le crime est couronné
Et je meurs. — Moi, Socrate, en saluant l’aurore
J’accepte la ciguë : ils m’ont empoisonné !
— Je suis le Christ en croix : j’attends mon père encore.
Seigneur ! Seigneur ! pourquoi m’avoir abandonné ?
— Quand devons-nous cueillir pour nos œuvres la palme
Sans pleurs et le laurier sans outrages, promis
Par la vertu sévère à ses fermes amis ?
Quand aurons-nous la gloire inaltérable et calme ?

Créateur ! ton dédain ne peut être le prix
______Des sueurs, du sang et des larmes !
Récompense la lutte et garde ton mépris
______Pour le rêve aux stériles charmes !

faustus

Ô lointain souvenir des outils et des armes !
La Gloire ! Il m’en souvient comme d’un clair rayon
Et comme d’un agile et brûlant aiguillon :