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Le soyeux écheveau des fleuves, et leurs ondes
Rendre la neige altière au lit des mers profondes ;
Tantôt, abandonnant la conquête des airs
Pour le loisir, plus doux, dans les vallons plus chers,
Ils reviennent aux biens dont l’infini les sèvre,
Aux biens qu’on peut cueillir ou couver : rose ou lèvre ;
Fruit tendu par la branche et donné par la main ;
Flânerie où l’esprit reçoit des yeux son pain
Sans fatiguer sa meule à moudre les images ;
Prière murmurante, assaut de gais ramages ;
Accolade ou salut à d’immortels passants
Qui ne peuvent plus être à tout jamais absents,
Et font de l’amitié le plus noble mélange
Ou bien quelque suave ou radieux échange.
Tantôt, comme, échappé des urnes, le trop-plein
Retourne à la fontaine en ruisseau cristallin,
De leurs cœurs l’allégresse en chants d’amour déborde,
Hymne du bonheur même à celui qui l’accorde !

Attestez-le-moi bien, ô couples enlacés,
Que vos plaisirs sans deuils vous remplissent assez,
Que le fouet du devoir pour toujours vous oublie,
Et que vous vous sentez contents de votre vie…
Attestez-le, j’éprouve au plus secret de moi
Je ne sais quel frisson qui ressemble à l’effroi…