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« J’appliquais avant toi, jaloux de Dieu moi-même,
Ta misérable toise à tous les infinis,
Mais j’ai dû refermer sur l’Inconnu suprême
Mes yeux hallucinés, par le gouffre punis.

« Moins ténébreux que l’homme et moins contradictoire,
Le mystère chrétien ne m’a pas répugné,
Et dans le cœur saignant du Christ, avec ma gloire,
J’ai, tremblant, enfoui mon front mal résigné.

« Mais lorsque, ayant franchi la mort qui rassérène,
Pénétré de l’azur où je me ranimais,
J’eus très haut recouvré, dans la paix souveraine,
La native candeur de mon âme à jamais,

« Je ne ressentis plus la terrestre indigence
Qui l’affamait naguère et la décourageait ;
Ma calme volonté, ma saine intelligence
Ne poursuivirent plus l’inaccessible objet.

« J’avais compris, Faustus, que toute créature
À son partage utile et clair de vérité,
Mais qu’aux natures sœurs de sa propre nature
Le champ de son savoir est toujours limité.

« Comme la force aveugle ignore ce qui pense,
Comme la masse inerte ignore ce qui meut,
L’homme ignore à son tour la plus sublime essence,
Dieu, plus riche que lui, pouvant ce qu’il ne peut.