Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aux dogmes du chrétien le penseur se résigne ;
Sitôt qu’il y résiste, il a peur, il se signe,
Mais son front mal dompté tressaille sous sa main.
Enfin le géomètre effrayé du problème,
Ne pouvant ni prouver ni renier son Dieu,
Risque la vérité dans un pari suprême
Dont, sur un noir tapis, le bonheur est l’enjeu.

« Un juif cartésien, plus hardi que le maitre,
Arrache, imperturbable, à ses leçons leur fruit
Et le condamne en forme à nommer Dieu tout l’Être,
Dont le temple infini soi-même se construit.
Spinoza dans la Bible est entré sans surprise.
Mais, pendant qu’il y plonge, il se sent la main prise
Dans le poignet de fer de la Nécessité !
Le front calme, à la suivre il n’a pas hésité.
L’Être assiste, éternel, au cours changeant des âges,
Le froid de la raison fait du monde un cristal ;
L’homme en est une face où de pâles images
Répètent l’univers sous un angle fatal.

« Leibniz divise l’Être en milliers de génies.
Qu’il fait miroirs du monde, obscurs, troubles ou clairs.
Monades sans liens et cependant unies ;
Un Dieu, pour en former le meilleur univers,
D’avance en a réglé toutes les harmonies.
Locke n’avait chargé que les sens de pourvoir
Par leur lumière aveugle à l’œuvre du savoir ;
Leibniz, de ces flambeaux dénonçant l’indigence,