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Le véritable mot, l’ont du moins épelé !
A travers les splendeurs dont le présent se dore,
Leur gloire obstinément à ses yeux luit encore.
Leurs grands noms sont pareils à des astres lointains
Que le soleil levant n’a pas encore éteints ;
Et, célébrés jadis par des bouches sans nombre,
Bien qu’ils n’aient ébranlé qu’un air épais et sombre,
Ces noms, certes, pourront sur ses lèvres vibrer
Dans l’air d’un paradis sans le déshonorer.
Il tâche d’évoquer, au fond de sa mémoire.
Des systèmes fameux la longue et noble histoire,
Afin d’en recueillir le suc essentiel,
Comme l’abeille emprunte à mille fleurs son miel.
Il voit, sages ou non, sereines ou chagrines.
Dans le passé surgir et tomber ces doctrines
Au souffle de l’esprit qui se porte en avant,
Comme les blés courbés tour à tour par le vent.
Toutes il les recense, épiant l’étincelle,
La lueur ou l’éclair, que chacune recèle ;
Et dans sa veille ardente il prononce à mi-voix
Ces paroles, écho des leçons d’autrefois :
 
« Les penseurs inquiets sont les plus grands des hommes !
Qu’on vante l’or, les blés des cités économes.
Par-dessus tout la Grèce aimait la Vérité !
Milet, Samos, Élée, habitantes des plages,
Vos poètes sont purs comme l’onde, et vos sages
Comme elle sont profonds, et leur témérité
Ouvrit sur l’inconnu de lumineux passages.