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______« Je n’ai fait qu’aimer et sentir,
______Mais sans pouvoir anéantir
______Ma pensée et sa vieille attache ;
______Il couve en ma joie un tourment,
______Car sous l’objet le plus charmant
______Je veux saisir ce qu’il me cache,

______« L’invisible sous les couleurs
______Et l’impalpable sous les fleurs
______Où j’appuie, en songeant, ma tête ;
______Je ne peux plus l’y reposer :
______Si je tends ma bouche au baiser,
______L’inconnu se dresse et m’arrête.

______« Hé bien ! prenons-le corps à corps !
______Que, terrassé par mes efforts,
______Le monstre vaincu me réponde !
______Que, sous le grand masque étoilé,
______Je contemple en Dieu dévoilé
______La cause et la raison du monde ! »

Accoudé sur sa couche et le front dans la main,
Faustus, près de tenter cet assaut surhumain,
Rassemble quelque temps sa force et son courage,
Mais il se sent chétif pour un si haut ouvrage.
Isolé dans le vide, y cherchant des soutiens,
Il réclame leur aide à ses maîtres anciens,
Aux penseurs qui, sur terre, avec la même audace,
Ont regardé le sphinx impénétrable en face,
Et, de l’énigme épris, s’ils n’en ont révélé