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J’écoutais, tour à tour lente ou vive, ta plainte
Descendre, s’élever, puis retomber éteinte.
______Puis ardente se ranimer ;
Écho vivant, mon cœur en sentait chaque phrase
A ton gré, tour à tour, le ravir dans l’extase,
______Dans la détresse l’abîmer...

Ton chant s’évanouit comme un baiser qui tremble.
Et sous tes doigts tendus, arrêtés tous ensemble.
______Expira le dernier accord ;
Et pâle, les yeux clos, la tête renversée,
Stella, tu répondis tout bas à ma pensée :
______« Après la mort, après la mort ! »
 
Maintenant que je touche à la suprême vie,
Aux biens que de si loin la race humaine envie.
Maintenant qu’immortels mon sang, ma chair, mes os,
Goûtent après la tâche un souverain repos,
Que ce monde à mon cœur par tous mes sens envoie
Avec de purs plaisirs une innocente joie.
Qu’enfin je suis heureux sans trouble, entièrement,
Il ne se mêle en moi plus de vague tourment,
D’aspiration vaine a la douceur d’entendre
L’onde fraîche des sons par tes lèvres s’épandre
Des profondeurs de l’âme aux profondeurs du ciel ;
L’amertume terrestre en altérait le miel.
Ah ! je comprends pourquoi j’en redoutais l’ivresse
Comme une jouissance excessive et traîtresse,
Comme un cruel délice ! Aujourd’hui je comprends