À fuir sa planète inclémente
Il sent qu’il est sollicité,
Mais que, trop fragile et trop brève,
L’aile d’Icare audacieux
Jusqu’au seuil effleuré des cieux
À cette fange ne l’enlève
Que pour l’y précipiter mieux !
Nous revînmes, gagnés par un trouble indicible,
Nous parlant du bonheur qui ne sera possible
Qu’ailleurs, plus tard, très loin, très haut...
Dans un astre où l’amour sans mensonge et sans tache,
D’incorruptibles cœurs indissoluble attache,
Respirera l’air qu’il lui faut !
Puis dans le vieux salon désert, calme retraite
Qu’éclairait mollement une lune discrète,
Tu t’assis à ton clavecin ;
Une gamme rapide en émut chaque touche,
Et tu laissas éclore et vibrer sur ta bouche
L’angoisse qui gonflait ton sein.
Tu repris d’une voix pénétrante et fiévreuse,
Pour en approfondir la douceur douloureuse,
Tous les trilles du rossignol ;
Ton art en lit monter jusqu’à Dieu l’harmonie
Sur les ailes que prête aux sons l’humain génie
En les accouplant à son vol !
Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/219
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.