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Ils possèdent leur songe incarné sans effort :
C’est aux bras d’Athéné que Phidias s’endort ;
Souriante, Aphrodite enlace Praxitèle ;
Michel-Ange ose enfin du songe qui la tord
Réveiller sa Nuit triste et sinistrement belle ;

Ici le grand Apelle, heureux dès avant nous,
De sa vision même est devenu l’époux ;
L’Aube est d’Angelico la sœur chaste et divine ;
Raphaël est baisé par la Grâce à genoux,
Léonard la contemple et pensif la devine ;

Le Corrège ici nage en un matin nacré,
Rubens en un midi qui flamboie à son gré ;
Ravi, le Titien parle au soleil qui sombre
Dans un lit somptueux d’or brûlant et pourpré,
Que Rembrandt ébloui voit lutter avec l’ombre ;

Le Poussin et Ruisdaël se repaissent les yeux
De nobles frondaisons, de ciels délicieux,
De cascades d’eau vive aux diamants pareilles ;
Et tous goûtent le Beau, seulement soucieux.
Le possédant fixé, d’en sentir les merveilles !

Il leur suffit que l’âme en soit le pur miroir ;
Créateurs au repos, il leur suffit de voir
Leur idéal exempt de sa terrestre gaze.
En bas la renommée a comblé leur espoir.
En haut leur récompense est l’éternelle extase ! —