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IV


Hé bien ! c’est pour ton culte à la grande déesse
De tout poète aimée, et qui prête en retour
Aux plus beaux vers leurs cris, leur souffle et leur richesse,
Que la Muse aujourd’hui te salue à son tour !

Elle salue en toi le premier qui sut rendre
Aux yeux pour la campagne un regard attendri,
Au cœur l’intime accent que tout cœur peut comprendre,
La chair et la couleur au langage amaigri.

Elle salue en toi son frère et son complice
Dans ses sombres douleurs et ses rébellions,
Car elle aussi connaît l’obscur et lent supplice
De traîner des désirs hautains sous des haillons.

Ton malaise au milieu de l’humaine mêlée
Où la liberté lutte avec son anneau vil,
La Muse aussi l’éprouve ; elle succombe ailée
Sous la chaîne et l’ennui de son terrestre exil.

L’un et l’autre égarés par la même fortune
Dans un monde où vos vœux grondent inassouvis,
Vous y souffrez tous deux d’une offense commune :
Son souvenir t’est dû comme à ses propres fils !