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L’une et l’autre ont surgi de tes vives semences :
La forêt populaire aux ténébreux élans
Qui du fond de l’Érèbe aspire aux cieux immenses
Et la fleur poétique aux pétales tremblants.

Dans ton âme sauvage à la fois et souffrante
Cette fleur a germé quand, le bâton en main,
La besace à l’épaule, à ta jeunesse errante
Tu cherchais un asile au hasard du chemin.

Tu voyais blêmir l’aube à l’horizon des plaines
Et midi cribler d’or l’ombre des bois épais,
Et le soir empourprer les montagnes lointaines,
Et la nuit abîmer les mondes dans la paix.

Ces spectacles perdus pour les hôtes des villes
Font regretter l’Éden aux songeurs vagabonds ;
Pour toi, contre les murs et les cités serviles
Ils furent dès l’enfance en révoltes féconds.

Et tu frémis, penseur qu’un joug pesant terrasse,
De voir à quels emplois ton sang te ravalait,
De sentir ton génie abaissé par ta race.
Prêtre de la Nature et, pour manger, valet !