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Ainsi, sans l’homme heureuse et plus belle inutile,
La Nature le craint ; elle semble abhorrer
Les affronts du scalpel savant qui la mutile,
Les hommages de l’art qui croit la décorer.

Elle refuse au traître ennemi qui la guette,
Avec un fier mépris ses lèvres et ses jeux.
Elle voudrait pour l’homme être aveugle et muette
Et sous ses voiles fuir son joug impérieux.

Mais il sait la forcer par ruse ou par contrainte
A lever la paupière, à desserrer les dents ;
Elle résiste, cède, échappe à son étreinte…
Et la lutte est ancienne et durera longtemps.

II


O Rousseau ! champion de cette vierge auguste,
Tu pris parti pour elle en ce rude combat,
Et tu t’émus, sentant que sa cause était juste,
Tremblant pour l’homme aussi qu’elle n’y succombât,

Car tu craignais qu’enfin la vaincue asservie
Ne fît pas plus heureux ni plus grand le vainqueur.
Et que ce conquérant, corrupteur de sa vie.
N’employât sa pensée à dépraver son cœur.