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O tragédie ! appel profond de l’âme à l’âme
Par les plus grands soupirs arrachés aux héros,
Qui rend des passions la louange et le blâme
Vivants au fond de nous par de poignants échos,

Art sobre de parure, à la fois économe
Du lieu, du temps où gronde et frémit l’action.
Plus jaloux d’évoquer l’éternel fond de l’homme
due de flatter des yeux la frêle illusion !

Corneille, dans tes vers résonne impérieuse
La formidable voix que cet art prête aux morts,
Et la frivolité d’une race rieuse
Y sent comme un reproche éveillant un remords.

Ses jeux lui semblent vains sous ta parole grave,
Ses querelles, hélas ! méprisables aussi ;
A ses communs élans que la discorde entrave
Tu rouvres l’Idéal comme un ciel éclairci !

Quand de tes vers vibrants la salle entière tremble,
Les hommes ennemis pareillement émus,
Frères par le frisson du beau qui les rassemble,
Pleurant les mêmes pleurs, ne se haïssent plus !

Non ! car l’enthousiasme a le saint privilège
De rendre au vol des cœurs sa pure liberté,
Comme l’essor croissant des nacelles s’allège
De tout le sable vil qu’elles ont emporté,