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STANCES

A PIERRE CORNEILLE


Deux siècles ont passé, deux siècles, ô Corneille !
Depuis que ton génie altier s’est endormi
En recevant trop tard pour sa dernière veille
L’aumône de ton roi par la main d’un ami.

Comme un chêne géant découronné par l’âge,
Déserté des oiseaux qu’il attirait hier
Et qu’éloigne le deuil de son bois sans feuillage,
Tu finis seul, debout dans un silence fier.

Ta renommée avait par son aube éclatante
Alarmé le Mécène ombrageux de ton art :
Un monarque a laissé, par sa grâce inconstante,
Le laurier du poète inutile au vieillard.

Mais, après deux cents ans, voici que ta patrie,
Qui dispense elle-même aujourd’hui sa faveur,
Dans son grand fils, plus cher à sa gloire meurtrie,
De l’Idéal invoque et fête le sauveur !