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Où les rangs sont donnes par de loyaux combats,
Sous de justes tyrans qu’ont choisis des papas.
C’est le lieu formé sous leur règne équitable
Qui nous ramène tous à cette large table.
Ce lien si solide est pourtant bien subtil,
Et peut sembler d’abord aussi ténu qu’un fil :
Nous sommes, en effet, tous de différents âges,
Occupés dans ce monde à différents ouvrages,
Car l’un fait des budgets et l’autre fait des vers.
Nos bandes, au hasard par des maîtres divers
Sur des bancs inégaux tour à tour élevées,
Toutes au même instant ne s’y sont pas trouvées ;
Nos foyers différaient, et dans nos pensions
Nous n’avons pas fleuri sous les mêmes pions ;
Le lycée a changé : vers la place du Havre
Sa façade plus neuve et plus belle me navre,
Et combien d’entre nous ne voient pas sans souci
Leurs chers contemporains transfigurés aussi !
Des choses ni des gens rien n’est resté le même ;
Nous reconnaissons-nous ?… Et pourtant je vous aime.
Oui, je vous aime tous, vous mes derniers cadets,
Vous mes aînés qu’hier d’en bas je regardais.
Nous avons, je le sens, eu la même nourrice !
Souffrez que mon sourire un moment s’attendrisse
Pour l’Université dont nous bûmes le lait
Si pur, quoique si vieux, au même gobelet.
A sa faveur, le pacte ancien qui nous rassemble,
Pour gracieux qu’il soit, est plus fort qu’il ne semble.
Je l’éprouve ce soir, et certes il m’est doux