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plique notre propre essence ; la métaphysique ne peut donc faire aucun progrès, elle est toute dans une seule idée qui est son principe et son terme : l’être par soi. L’histoire prouve suffisamment qu’elle n’a jamais fait un pas de plus. Les métaphysiciens et les théologiens ont, sous toutes les formes, transporté les catégories humaines à l’être par soi.

Ce qui fait le succès de la méthode scientifique et son incontestable supériorité, c’est que par l’observation et l’expérience elle prend connaissance de l’objet, elle constate son existence et ce qu’il a de perceptible, avant de lui adresser aucune question présupposant en lui des catégories qui peuvent n’y pas être ; elle ne prend pour prédicats de ses questions que les idées générales qu’elle a d’abord abstraites des données empiriques ; ainsi les questions qu’elle pose sont toujours fondées, tandis que la métaphysique a trop souvent présumé qu’elle était en droit d’adresser à l’univers entier les mêmes questions de causalité, d’origine et de fin, qu’on peut adresser à l’essence humaine ou à toute essence composée de catégories impliquées dans l’homme.

La science tend chaque jour à se défier de l’emploi des axiomes philosophiques de causalité, de substantialité, de finalité, parce qu’ils ne sont applicables qu’aux objets dont l’essence est assimilable à l’essence humaine, et que cette assimilation est toujours périlleuse. Elle s’en tient, pour principes, à des propositions analytiques très claires par la simplicité du rapport qu’elles expriment, comme : la partie est plus grande que le tout ; deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles ; deux et deux font quatre ; la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre ; propositions qu’elle nomme aussi axiomes, mais qui n’en sont point,