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l’idéal qui est la perfection. Nous voyons donc comment toutes nos catégories, être, quantité, relation, qualité, deviennent absolues, dès que nous considérons en chacune d’elles l’ensemble des déterminations qu’elle comporte, en un mot son tout. Mais nous pouvons aller plus loin et concevoir, sans les imaginer, toutes les catégories de l’univers, y compris celles qui, n’étant pas les nôtres, ne nous sont pas connues ; nous pouvons concevoir le tout de chacune, c’est-à-dire son absolu, et enfin la somme des absolus ou le Grand Tout, Mais remarquons bien que cette conception est d’ailleurs complètement creuse, elle n’est qu’une idée de savoir possible, l’activité de notre esprit fonctionnant à vide sous sa propre réflexion. Spontanément nous ne concevons pas, nous ne faisons que percevoir avec le sentiment de la limitation et de la dépendance de notre être à l’égard des autres et de ceux-ci à l’égard d’autres encore ; mais la réflexion s’attachant, non plus aux actes successifs de la fonction de percevoir, mais au caractère illimité de son exercice, fait la somme de sa puissance et non de ses opérations accomplies. Par suite, elle dépasse la portée de la perception et se borne à concevoir.

Telle est, selon nous, l’origine des idées absolues sur lesquelles toute métaphysique est fondée. Nous n’entreprendrons pas d’en faire ici la discussion complète, nous sommes convaincu que la réflexion des esprits est plus inégale sur ce sujet que sur tout autre, et nous n’avons certes pas la présomption de croire que nous l’ayons approfondi autant qu’il doit l’être.

Nous avons d’ailleurs voulu, dans cette préface, indiquer seulement les causes de la diversité des opinions, l’état de la pensée philosophique, et la nécessité de ne rien conclure avant