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molécules. Cette conséquence est grave. De ce que la matière est perçue par groupes distincts de sensations, il ne s’ensuit pas qu’il y ait autant de substances individuelles que de groupes sentis, car les sensations groupées peuvent naître d’actes distincts d’une substance unique : il suffit même que nous constations des relations entre ces groupes pour pouvoir affirmer qu’ils ont entre eux quelque fond commun, un substratum unique, aucune communication n’étant concevable qu’à cette condition.

Mais pour ne pas trancher cette importante question par une considération toute spéculative, voyons si, au point de vue de la science positive, cette hypothèse d’une division de la matière en unités substantielles n’offre pas et inconvénients.

Quand on admet, comme il est prudent de le faire, que les groupes de sensations perçues sont seulement des unités phénoménales, on peut admettre aussi que toute unité nouvelle naissant du rapprochement d’autres unités est une manifestation d’activité qui se produit à l’occasion de celles-ci sans en être nécessairement une résultante. La substance unique manifeste une nouvelle propriété, latente jusque-là, dans les circonstances favorables créées par le rapprochement, mais cette propriété préexistait en puissance. Dans la théorie atomique, au contraire, cette propriété n’est qu’une résultante et ne saurait être autre chose ; l’unité nouvelle ne naît pas seulement à l’occasion des unités mises en présence dans le creuset, elle en est le composé. Prenons un exemple pour fixer les idées : voici deux unités, le soufre et le fer : si ces deux unités sont substantielles, le sulfure de fer est nécessairement leur somme, ses propriétés ne peuvent être que des résultantes des propriétés du soufre et de celles du fer, car il n’entre dans sa for-