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logique et morale, modes d’activité tout différents. Mais aujourdhui la réflexion nous a fait analyser nos sensations dans leur essence mime, et nous apprend à séparer ce qui, dans la sensation, est nous-même, le subjectif, de ce qui exprime le phénomène extérieur par lequel nous sommes impressionné, l’objectif. Si donc il est vrai que la matière ne nous cause que des sensations étendues, figurées et sujettes à des déplacements, il n’est pas moins vrai que ces sensations peuvent être des signes fort insuffisants des actes intimes de l’objet extérieur. Nous avons constaté, en effet, que les affinités et la vie, qui ne peuvent s’exprimer dans notre sensibilité que par des signes physiques tels que la figure et le déplacement, ne nous livrent rien de leur nature spécifique et nous laissent concevoir des modes d’activité propres à la matière, dont nous ne saurions nous former aucune image.

La théorie moléculaire de la science moderne se fonde sur des données beaucoup plus positives que celle de l’antiquité ; elle n’est point issue des spéculations abstraites sur le plein et le vide, mais d’une synthèse des lois expérimentales.

Les différents corps sous un même volume n’ont pas tous le même poids ; on en a conclu qu’ils ne sont pas également massifs et que par conséquent ils ne sont pas faits de matière continue, car on ne concevrait pas que la matière continue pesât inégalement sous des volumes égaux. On supposa donc que la pesanteur se manifeste par une multitude d’actions distinctes et égales dont la résultante peut varier dans un même corps selon son volume et dans les corps différents, de même volume, selon le nombre des composantes élémentaires agissant en chacun d’eux. Cette hypothèse d’éléments pondéraux, égaux et distincts, trouvait la confirmation dans l’expérience qui dé-