Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’homme, en levant un front que le soleil éclaire,
Rend par là témoignage au labeur séculaire
          Des races qu’il prime aujourd’hui ;
Et son globe natal ne peut lui faire honte,
Car la terre en ses flancs couva l’âme qui monte
          Et vient s’épanouir en lui.

La matière est divine ; elle est force et génie ;
Elle est à l’idéal de telle sorte unie
          Qu’on y sent travailler l’esprit,
Non comme un modeleur dont court le pouce agile,
Mais comme le modèle éveillé dans l’argile
          Et qui lui-même la pétrit.

Voilà comment, ce soir, sur un astre minime,
Ô soleil primitif, un corps qu’un souffle anime,
          Imperceptible, mais debout,
T’évoque en sa pensée et te somme d’y poindre,
Et des créations qu’il ne voit pas peut joindre
          Le bout qu’il tient à l’autre bout.

Ô soleil des soleils, que de siècles, de lieues,
Débordant la mémoire et les régions bleues,
          Creusent leur énorme fossé
Entre ta masse et moi ! Mais ce double intervalle,
Tant monstrueux soit-il, bien loin qu’il me ravale,
          Mesure mon trajet passé.