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Comme le lent conseil d’une âpre expérience.
Mais plus tard j’ai voulu formuler ma croyance,
Et, pour rendre ton verbe intime plus distinct,
Faire parler pour toi la raison sans l’instinct ;
J’ai voulu te prouver après t’avoir sentie.


Que d’ombre emplit alors ma tête appesantie !
Que j’ébauchai pour toi d’impuissantes babels !
Comme, pour se bâtir, plus haut que leurs autels,
Un port plus sûr, jadis, dans la nuit des carrières,
Les hommes follement ont remué les pierres,
Ainsi j’ai remué dans leur chantier profond
Les lourds matériaux dont les preuves se font.
Je rêvais de fonder sur une ferme assise
Une juste cité d’une forme précise,
Et je voulais donner à ce fier monument,
Pour matière et maçon, la raison seulement.
Mais elle n’offre point une base assez ample
Pour t’y dresser un fort aussi haut que le temple
Que je t’avais naguère, avec moins de rigueur,
Et pourtant plus solide, élevé dans mon cœur.
J’avais beau le bâtir comme un froid géomètre,
Aux lois de l’équilibre avec soin le soumettre,
M’enquérir des granits, des ciments les meilleurs,
Et des secrets qui font les bons appareilleurs,
Plus j’en réglais l’aplomb par l’équerre et la corde,
Plus j’exaltais l’orgueil sans fonder la concorde !
Et, comme des babels pleines de vains discours,
J’ai dû l’une après l’autre abandonner mes tours.