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Avant les animaux, quand régnait la forêt,
Seule à téter le sein de la terre en gésine,
La nourriture, humeur abondante et voisine,
Où tombait la semence, au rejeton s’offrait.

L’air s’épure, et la chair libre et pauvre apparaît,
Forcément chasseresse, étant fleur sans racine ;
Mais la progéniture, avant qu’elle assassine,
Doit, trop faible d’abord, trouver du sang tout prêt.

Il faut que la femelle avec son sang l’élève ;
Nourrice, elle est encore une tige, où la sève
Monte au fruit suspendu, mais déjà détaché.

Ce fruit, le sien, le seul aimé, c’est elle-même,
C’est l’extrait de son être à ses flancs arraché :
La Nature est habile et sait bien ce qu’on aime.




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